Archives du blog

13 mars 2011

Moonlight Sonata - n°20

Ils frappèrent à la lourde porte en fonte du Mosquito, qui n'ouvrait qu'à dix heures du soir; au bout de quelques minutes, la tête d'un homme peu avenant à la barbe négligée apparut derrière celle-ci.

- Ouais ? demanda-t-il, faisant profiter les trois visiteurs de son haleine peu agréable.
- On vient voir Le Gnou. Il est là ?
- Ouais, répondit l'autre, qui semblait avoir un vocabulaire assez limité. Il les laissa alors passer, leur montra où aller, et referma la porte après avoir écrasé sa cigarette sur le sol poussiéreux, d'un mouvement las.

A la mention du «Gnou », Alex et Carl s'étaient regardés, amusés. Quand ils furent à nouveau seuls, il demandèrent à Ed si c'était là son vrai nom.

- Non pas du tout. C'est lui qui se fait appeler comme ça. Je comprends pas pourquoi, parce que c'est quand même hyper ridicule comme surnom... Quoi que, ça lui va pas si mal, c'est ça le drame, leur expliqua-t-il, provoquant des rires qu'ils eurent du mal à contenir une fois devant l'énergumène en question.
- Oui, c'est pour quoi ? demanda Le Gnou, qui était sorti d'une petite pièce à l'arrière du bâtiment pour venir à leur rencontre.

Ed lui serra alors la main, imité par ses amis, et Alex lui expliqua rapidement la situation.

- Ah, la Breitling ? lança-t-il.
- Oui, c'est ça.
- Très bien... Eh bien si tu as 20 000 sur toi, je te la rends maintenant.
20 000 ? Ça va pas ? Je l'ai sûrement pas laissée pour 20 000 hier soir – jamais j'aurais joué jusqu'à une telle somme.
- J'en sais rien, et je vais pas jouer aux baby-sitter. C'est pas de ma faute si tu laisses tes affaires pour un rien. Mais c'est à peu près ce que ça coûte sur le marché, donc si tu veux la récupérer, tu avances les biffetons, et c'est tout.
- C'est pas le genre de somme qu'on a sur soi comme ça... Quelle merde, c'est pas vrai, dit Alex, se prenant la tête entre les mains, avant d'aller s'adosser contre un mur.

Pendant qu'Ed essayait de négocier avec Le Gnou, Carl rejoignit Alex :
- Ça va aller, t'inquiète. Je connais un mec qui pourra te prêter ces 20 000, tu le rembourseras plus tard et puis voilà, comme ça tu la récupèreras, ta montre. Sauf si tu préfères laisser tomber, ce que je comprendrais, mais je crois que tu y tiens vachement à cette Breitling, non ?
- Oui. Non mais j'ai pas le choix, je vais aller voir ton ami, lui emprunter l'argent. Tant pis si je m'endette pour un petit bout de temps...

C'est donc ce qu'ils firent. Avant de repartir du Mosquito, Carl se hasarda à demander au Gnou d'où lui venait ce surnom. Tout ce qu'il parvint à obtenir fut un : « ça te regarde, peut-être ? ». Ils allèrent alors traîner dans un parc non loin de là. Tandis qu'ils regardaient les gens – et surtout les femmes – passer, allant à chaque fois de leurs commentaires, Alex tâchait de ne pas voir que du négatif dans le fait qu'il venait de dilapider une rondelette somme d'argent – qu'il n'aurait jamais osé dépenser en une seule fois, en temps ordinaire – dans le seul but de récupérer un objet qui lui appartenait. Et cela n'était pas évident.

Pour éviter d'ennuyer ses amis avec son humeur maussade, il partit se poser du côté de la fontaine. Tout en regardant les diverses pièces entassées qui gisaient en son fond, il ressassait les mêmes pensées désagréables, ne voyant que sa perte, et ne parvenant à trouver rien qu'un énorme gâchis dans cette histoire. Et il détestait le gâchis plus que tout.

- Vous aussi, vous avez envie d'aller toutes les ramasser ? demanda alors une voix douce derrière lui.

Il se retourna et se retrouva nez à nez avec une jeune femme aux cheveux châtain clair, et aux joues constellées de taches de rousseur. Elle avait un petit air doux et fragile qui lui donnait un charme certain. Un sourire apparut sur leurs visages. Un peu pris au dépourvu, il ne sut quoi dire.

- Je dis ça car vous fixez ces pièces depuis tout à l'heure. Depuis que je suis toute petite, j'ai envie de trouver un stratagème pour pouvoir les récupérer. Je sais que c'est très simple en pratique, il suffirait que je rentre dans le bassin, mais disons que la morale rend la tâche plus compliquée.
- Je comprends, répondit-il en riant. C'est sûr que les gens qui assisteraient à la scène ne verraient pas cela d'un bon oeil.
- Oui, voilà, acquiesça-t-elle, souriante.
- J'avoue que l'envie pourrait me traverser l'esprit aussi, mais je crains que ces pièces ne suffisent pas... Mais je ne suis plus à ça près. Accepteriez-vous de prendre un verre avec moi ? Je suis là avec des amis, je vais juste aller leur dire que je m'en vais, si vous êtes partante, bien sûr.
- Avec plaisir, répondit-elle.


Alex fut surpris de la rapidité avec laquelle leur rencontre avait aboutit à un premier contact plus éloquent quant à leurs intentions. Il n'était pas du genre à s'intéresser à n'importe quelle créature qui croisait son chemin, mais celle-ci semblait mériter son attention. Carl et Ed, ravis que leur ami retrouve un peu d'entrain et de bonne humeur, le saluèrent, et restèrent encore un peu sur leur banc, à émettre de spirituels jugements sur les passants.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire